Par un arrêt remarqué du 7 mai 2025, la Cour d’appel de Paris a reconnu que la constitution du fonds jurisprudentiel diffusé sur le site Doctrine.fr relevait d’actes de concurrence déloyale. La société Forseti, éditrice de la plateforme, a ainsi été condamnée pour avoir collecté et traité des décisions de justice en violation de plusieurs règles légales et contractuelles, s’arrogeant ainsi un avantage indû.

Une collecte massive en dehors des cadres légaux

Entre 2016 et 2019, Forseti aurait constitué une base de données de plusieurs millions de décisions, alors que les textes d’application de la loi du 7 octobre 2016 sur l’open data judiciaire n’étaient pas encore en vigueur. Les éditeurs juridiques concurrents ont démontré que cette collecte ne s’était pas accompagnée des formalités prévues par les textes : absence de demande aux greffes, non-respect des procédures d’anonymisation, non-conformité aux conventions contractuelles avec le Conseil d’État et le GIE Infogreffe. La Cour a jugé que ces manquements constituaient une rupture d’égalité concurrentielle, à l’origine d’un trouble commercial et d’un préjudice d’image pour les sociétés concurrentes.

Publicité comparative et tromperie écartée

Forseti avait également mis en avant, dans des communications publiques, le fait que son fonds comprenait plus de sept millions de décisions, contre moins de la moitié pour ses concurrents. Pour la Cour, une telle publicité, fondée sur un avantage déloyalement acquis, constitue un acte de concurrence déloyale. En revanche, les accusations de pratiques commerciales trompeuses liées aux renvois vers les contenus doctrinaux des éditeurs sur le site Doctrine.fr ont été rejetées. La Cour a estimé que ces renvois ne créaient pas de confusion suffisante pour tromper l’abonné sur l’origine des contenus.

Pas de parasitisme, mais une condamnation ferme

Les griefs d’atteinte parasitaire n’ont pas davantage été retenus. L’indexation de titres d’articles ou l’envoi de veilles juridiques ne suffisent pas, selon la Cour, à démontrer une volonté de s’inscrire dans le sillage économique des éditeurs concurrents. La demande de suppression totale des décisions obtenues illicitement a également été écartée, jugée disproportionnée. En revanche, la Cour a condamné Forseti à verser 40 000 euros à chacune des sociétés appelantes, ainsi que 10 000 euros supplémentaires à Dalloz et LexisNexis pour publicité comparative illicite. Elle a aussi ordonné la publication du jugement sur la page d’accueil du site Doctrine.fr.
 
Cet arrêt (CA Paris, 7 mai 2025, n° 23/06063) marque un signal fort en faveur du respect des règles d’accès aux données judiciaires. En sanctionnant la construction irrégulière d’un fonds jurisprudentiel, la Cour d’appel de Paris rappelle que l’open data ne dispense pas du respect des cadres légaux ni des principes de loyauté entre acteurs économiques.